Alice au pays des merveilles
Le Chat avait un large sourire en regardant Alice. Il paraissait d’excellente humeur. Pourtant ses griffes étaient très longues et il avait vraiment beaucoup de dents, et elle sentit qu’il valait mieux le traiter avec égards.
- Minet du Chester, commença-t-elle plutôt timidement, car elle ne savait pas du tout si ce nom lui agréerait ; mais son sourire s’élargit encore un peu plus.
- « Tant mieux, pensa Alice, il n’a pas l’air mécontent, jusqu’à présent ». Et elle continua :
- Voudriez-vous m’indiquer, je vous prie, la direction que je dois prendre pour sortir d’ici ?
- Cela dépend nettement de l’endroit où vous désirez aller, dit le Chat.
- Ca m’est assez égal, dit Alice.
- Dans ce cas peu importe le chemin que vous prendrez, dit le Chat.
[ … ]
Elle cherchait un moyen de s’échapper, et se demandait si elle pourrait s’éloigner sans être vue quand elle remarqua une étrange apparition dans l’air. D’abord, elle fut très étonnée, mais après avoir regardé attentivement pendant une ou deux minutes, elle comprit que c’était un sourire, et elle se dit en elle-même : « C’est le Chat du Chester, j’aurai maintenant quelqu’un à qui parler. »
- Comment allez-vous ? dit le Chat, dès qu’il eut assez de bouche pour parler.
- Alice attendit que ses yeux apparaissent, et alors elle hocha la tête.
- « A quoi bon lui adresser la parole, pensa-t-elle, tant que ses oreilles ne sont pas là. Une sur deux en tous les cas. »
Une minute après, la tête entière apparut.
Lewis Carroll
Flammarion 1949
Prochaine publication le 6 Janvier 2012
LE PREMIER FEU
Kiki-la-Doucette. – Une douceur brûlante pénètre ma robe jusqu’aux duvets fins et grêles, soies sous les soies, fils impalpables et sans couleur qui protègent ma peau délicate. J’enfle comme un nuage. Je dois remplir la chambre. Des tressaillements électriques, précurseurs du sommeil, agitent mes raides moustaches. Pourtant je ne dors pas encore, car la saison qui vient et ta splendeur, Feu, me troublent ensemble. Il pleut. Je ne sortirai pas. Discrètement, j’irai me confier au plat de sciure, pourvu que personne ne me regarde. Certes, la terre friable inspire plus excellemment, odorante et qui cède aux griffes… Mais ma nature supérieure connaît les longues contentions et méprise ce chien hydraulique qui lève la patte contre tout. Je ne sortirai pas. J’attendrai le soleil ou le vent sec, ou mieux la gelée. Ah ! l’excitation du froid piquant, qui cingle en poignées d’aiguilles mes poumons, fait de mon nez charmant un bonbon glacé !... Le spirituel démon du gel soufflera en moi sa démence. Elle rira, et Lui aussi, quittant son papier, de me voir rivaliser en bonds, en voltes, en tourbillonnements fols, avec les feuilles. Serai-je un Chat ou le lambeau flottant d’une fumée ébouriffée ? En haut d’un arbre ! En bas ! Puis sept tours après ma queue ! Puis saut périlleux d’avant en arrière ! Saut vertical avec tortillement aérien du ventre ! Giration, éternuements, course à travers le réel et le rêve, jusqu’à l’épouvante de moi-même !... Arrêt brusque : et tout tourne à mes yeux, ronde d’un monde nouveau dont je suis le centre immobile… Dans mon égarement sans conviction, j’exhalerai un petit meuglement de vache et Ils accourront, Elle riant, et Lui croyant à une angoisse intestinale…Cela suffira à me dégriser, et c’est d’un front assuré, d’un pas noble que je regagnerai ce coussin près de ton autel, Feu !
Colette
Douze Dialogues de bêtes
Prochaine publication 22 Décembre 2011